— Andrew ? Mais, monsieur... pour ne rien vous cacher, je... enfin, je crois qu'il éprouve pour ma personne un certain attachement et qu'il me demandera d'être sa femme...
— Ce ne serait pas la première fois, miss McCarthery, que le mensonge prendrait le masque de la tendresse. Mais vous êtes mieux placée que moi pour établir votre opinion et j'ai toute confiance en votre bon sens. En tout cas, voici ce que j'ai pu faire pour vous aider discrètement. A la poste, j'ai un homme à moi qui examine tout envoi un peu volumineux. C'est un spécialiste capable de défaire et refaire un paquet, de décacheter et de refermer une enveloppe en un temps record. Donc, peu de chance que les documents quittent Callander par une voie officielle sans que nous mettions a main dessus. Vous me paraonnerez, miss McCarthery, mais j'ai donné des ordres pour que Messrs Lyndsay et Flootypol soient surveillés. En mon absence, Edimbourg serait averti si l'un de ces messieurs prenait le train ou la route et agirait en conséquence.
— Merci, monsieur. Soyez assuré que je vais examiner les choses de très près, toutefois, je suis convaincue qu'en ce qui concerne Andrew vos soupçons sont injustifiés.
— C'était une simple mise en garde, miss...
Quoiqu'elle s'en défendît, Imogène avait été troublée par les remarques de son note. Son cœur ne pouvait admettre une trahison possible d'Andrew Lyndsay. On ne croit qu'à ce qu'on veut bien croire. Mais miss McCarthery possédait assez de courage pour ne pas reculer devant n'importe quelle vérité et elle se promit de pousser plus avant son enquête du côté d'Andrew.
Pour regagner sa demeure, miss McCarthery devait traverser Callander dans toute sa longueur. Elle atteignait le centre du bourg lorsqu'elle prit conscience que les passants se retournaient sur elle, chuchotaient entre eux, en un mot, elle était l'objet de l'attention générale. Ignorant si elle devait se féliciter de cette publicité, elle résolut d'aller acheter des flocons d'avoine, non pas qu'elle en eût tellement besoin, mais l'épicerie tenue par Elisabeth McGrew et son mari William s'imposait comme le seul endroit où l'on pouvait être certain d'apprendre tout ce qui se passait à Callander.
L'entrée d'Imogène dans l'épicerie créa une sensation profonde. Elisabeth McGrew, en train de peser des haricots pour Mrs Plury, fut si troublée qu'elle lui mit cent grammes de trop sans les lui compter. William McGrew, qui montrait des bas à Mrs Frazer, n'écouta plus ce que lui racontait cette dernière et la vieille Mrs Sharpe qui essayait — selon une habitude remontant à plus d'un demi-siècle — de chiper un bonbon, oublia sa gourmandise pour s'écrier :
— Imogène McCarthery !
Cette exclamation fut comme un signal, et Imogène sollicitée de toutes parts ne savait plus à qui répondre. Elisabeth McGrew dut rappeler d'une voix sèche qu'elle se trouvait chez elle et qu'on voulût bien prendre ce fait en considération pour lui laisser l'initiative des opérations. Matées, les clientes se turent et abandonnèrent la nouvelle arrivée, que Mrs McGrew entreprit aussitôt.
— Miss McCarthery, je suis bien heureuse de vous voir depuis que j'ai appris avec quel sang-froid vous vous êtes tirée d un mauvais pas, hier, au Cygne Noir. Tyier nous a dit que vous l'aviez tué d'une seule balle?
— Elle suffisait, madame McGrew... C'était le revolver de papa...
La vieille Mrs Sharpe ne put contenir plus longtemps son enthousiasme :
— Si le cher capitaine vivait encore, il serait fier de vous, Imogène McCarthery !
Mrs Frazer renchérit :
— Vous avez montré à cet espion qu'il valait mieux ne pas s'attaquer à une fille aes Highlands.
Imogène buvait du petit lait. L'épicière revint à la charge.
— Miss McCarthery, si vous nous racontiez comment cela s'est passé ?
Imogène se nt prier juste ce qu'il fallait avant de se lancer dans le récit de son aventure que, spontanément, elle enjoliva de telle façon qu'elle s'apparentait aux exploits légendaires de Rob Roy et se hissait presque au niveau de la bataille de Bannockburn sur le plan de l'intérêt national. Les autres l'écoutaient, bouche bée, avec un brin de jalousie, cependant, de la part de Mrs McGrew, qui devinait son prestige et son autorité en péril. Quand elle eut terminé, William McGrew vint lui serrer chaleureusement la main en lui affirmant que, grâce à elle, Callander attirerait l'attention de tout le Royaume-Uni. Aigrement, Elisabeth pria son époux de ne pas profiter de la présence de miss McCartheiy pour fainéanter et de lui faire le plaisir de descendre à la cave pour en remonter quelques bouteilles de pétrole dont la provision en magasin s'amenuisait. William prit très mal la chose.
— Par Dieu, Elisabeth, ne pouvez-vous me laisser tranquille cinq minutes ?
— Je vous prie, d'abord, William McGrew, de me parler sur un autre ton devant la clientèle, ensuite de vous rappeler que ma mère ne m'a pas mise au monde et envoyée à l'école jusqu'à quinze ans pour entretenir un bon à rien !
Mrs McGrew attaquait son mari par son point faible, car tout Callander savait que, si le ménage n'avait point d'enfant, la responsabilité en incombait à l'époux. Par leurs attitudes passionnées, les clientes témoignaient de leur intérêt : en plus du récit d'Imogène, elles assistaient à une scène de ménage ! Vaincu par cette tactique déloyale, William McGrew n'insista pas et se dirigea vers la trappe conduisant à la cave, mais avant de s'enfoncer dans les profondeurs, il tint à lancer une dernière flèche :
— Laissez-moi quand même vous dire, Elisabeth McGrew, que vous êtes une femme qui ne respecte pas son mari !
Et cette simple remarque, prononcée par un homme dont on ne voyait déjà plus que le buste, prit une résonance shakespearienne. Elisabeth accusa nettement le coup et, pour détourner l'attention des commères, relança Imogène.